2 Avril 2013
D'abord, être très doué dès le départ, avoir le coup de foudre pour l'instrument. Travailler d'arrache pied des milliers d'heures. Ecouter les autres, et se demander comment diable ils arrivent à faire des rointudju de phrases pareilles, essayer de les imiter. Apprendre le solfège et l'harmonie: ce n'est pas indispensable, mais ça permet d'aller plus loin si on ne se laisse pas piéger dans leurs filets. Ecouter surtout beaucoup de musique de toutes sortes, sinon, tu seras peut être un grand guitariste, mais tu pourrais ne pas être un musicien. Et il y a une nuance de taille.
Avant, il y avait eu l'harmonica chromatique (dans les sanitaires du lycée, le carrelage faisait une superbe réverbe). Puis je me suis lancé à corps perdu dans la guitare qu'on m'avait offerte à Noël. Ça a été ma voie, ma libération. Mais j'ai vite compris que j'avais des limitations, ne serait ce que la vélocité! je traînais en queue de peloton. Il faut dire que la virtuosité, la vélocité pour elles mêmes, je vois ça plus comme du sport que de la musique. Mais quand on voit cette vidéo d'Antoine Dufour (merci Melaine!) qui explose les limites de la guitare acoustique, je revois ma position: c'est fabuleux. Il gratte, il caresse, il frappe la caisse, percussion, harmoniques, tous ces timbres incroyables sortent d'une seule guitare! Heureusement qu'il n'existait pas dans les années 60 Antoine, il m'aurait rendu maboule.
Mais je vous avoue qu'après trois quatre morceaux, tout virtuose qu'il soit, je commence à m'ennuyer. J'ai besoin de voyager avec des mots, des images. C'est ma force et ma faiblesse.
Pour devenir un très bon guitariste, il faut avoir le nez dans sa guitare. Et ça vaut pour beaucoup d'instrumentistes: ils sont tellement concentrés sur leur instrument, qu'ils en oublient le public. Tout leur énergie passe dans l'instrument pour ensuite arriver à l'auditeur. C'est à la fois leur force et leur faiblesse. C'est pourquoi il est rare qu'un chanteur soit aussi un très grand instrumentiste. Et qu'un grand instrumentiste soit un très bon chanteur. Oui, je sais, il y a des exceptions, il y a, voyons... Matthieu Chedid, Sanseverino, Mark Knopfler, et par dessus tout Prince, qui porte bien son nom modeste et génial. Forcément, si tu m'envoies que des surdoués, je peux pas lutter. Bon, je retire ce que j'ai dit: il y en a pas mal qui savent faire les deux. Sans parler des pianistes. (Si vous avez d'autres propositions, et je sais qu'il y en a des centaines, je suis preneur. Il y a l'option "commentaires" ci-dessous.)
Mais quand même, c'est mon point de vue et je le partage: dans la plupart des cas, le chanteur qui s'accompagne lui-même est dirigé vers le public, plus que vers son instrument. Son instrument est un soutien, un accompagnement, un arrière plan, qui permet de créer de l'espace, de donner des repères rythmiques, de faire surgir des silences dans le chant. Pour illustrer ça, à l'opposé d'Antoine Dufour, super virtuose, je placerais Richard Desjardins:technique guitaristique modeste, mais quel souffle épique et poétique!
Tournée en France en mai prochain (St Jacques de la Lande le le 17 mai)
L'investissement du chant demande une grande intensité. Quand tu t'adresses à quelqu'un, en principe, tu le regardes dans les yeux, et ton instrument, tu ne peux plus t'y noyer. En revanche, comme tout progresse à toute vitesse, des chanteurs qui sont aussi d'excellents guitaristes, sans être forcément géniaux, il y en a de plus en plus. Et ça, c'est bien!
Moralité qui vaut ce qu'elle vaut: si tu veux devenir un grand guitariste, évite de te prendre pour un chanteur, et c'havaille comme un damné.