27 Avril 2011
Comment devient-on un musicien professionnel? « Après avoir été amateur pendant quelques années », semble la réponse la plus plausible. On ne se lance pas de but en blanc dans l'arène, sur la scène, devant un public, sans avoir fait ses armes, pour tester le plaisir, le danger, l'adrénaline, le trac, l'humiliation, la frustration, le bonheur...et j'en passe, de ces émotions qui vous traversent quand vous faites de la scène. Il faut d'abord jouer gratis, ce qui fait l'affaire de tout le monde : celui qui reçoit, bien content d'accueillir une animation, et de pouvoir se défiler si ce n'est pas terrible : « oui, je sais, mais ce sont des amateurs, il faut bien leur mettre le pied à l'étrier ! » ou revendiquer si ça se passe bien : (modeste) « oui... C'est une découverte que j'ai faite, ils débutent mais c'est assez prometteur, ils ont du talent ».
Mais si tu veux te prouver que tu en as, du talent, ce n'est pas en jouant gratis que tu auras la réponse. Sauf à faire fuir le public par une attitude ou une musique imbuvable, cas relativement rare, à moins de jouer les Didier Super, niche assez réduite en superficie : tout le monde s'en fiche tant qu'il n'a pas à te verser deux ronds. Le seul moyen, hélas, de savoir si tu VAUX vraiment quelque chose, artistiquement, c'est de demander de l'argent. Un patron de bistrot peut t'engager des années de suite sans te donner un radis : il t'aime, il t'adore, tu es son chouchou, il t'adore, continue chéri, tu iras loin...Tiens, je te paye une bière ! Demande lui de te payer plutôt une centaine d'euros net + les charges (si tu es débutant) et tu verras ton prétendu talent fondre comme neige au soleil. Sauf si tu fidélises un public qui va consommer et rapporter de la monnaie à ton employeur. C'est que la musique, le concert, le spectacle sont un marché. Avec ses lois, très subtiles, loi de la jungle, de l'offre et de la demande. Quand j'étais jeune, tout à ma naïveté idéaliste, je m'insurgeais du fait qu'un artiste connu, qui tourne beaucoup, soit payé beaucoup plus cher qu'un inconnu. J'étais vraiment jeune alors, et très bête dans ma vision du marché. En réalité : un artiste, 1000 demandes : cachet multiplié par 1000.
Autre aspect de ce marché, et c'est là que je suis encore un peu plus concerné : il y a des hiérarchies, des échelles de salaires, et si les amateurs rajoutent des barreaux en bas de l'échelle (du genre : un groupe de 3 musiciens payés 100 euros tout compris pour la soirée, parce que chacun d'entre eux a d'autres ressources financières, un métier, une retraite...) ceux qui viendront derrière, pour peu qu'ils soient professionnels, se verront envoyer sur les roses quand ils demanderont un tarif forcément plus élevé, puisque c'est leur gagne pain, et qu'ils ont besoin aussi que les charges sociales soient réglées.
Je sais, c'est difficile d'être cohérent, qu'on se situe d'un côté ou de l'autre, et parfois on y perd son latin : j'ai signé une pétition il y a deux ou trois ans contre un projet de loi qui voulait rendre obligatoire un salaire minimum et une embauche pour tous les groupes amateurs (y compris bagadou, cercles celtiques, etc, dans le domaine breton). Même si cette proposition émanait de syndicats professionnels et visait à protéger les musiciens professionnels, il me semble que ce serait invivable économiquement, et que ça mènerait ces structures à leur écroulement financier.
Mais, à l'autre extrême, tous les musiciens qui jouent pour pas un kopeck dans des bars ne se rendent et ne nous rendent pas service : discutez entre vous sur les réseaux sociaux et organisez vous pour ne pas « casser le marché » et ne pas vous faire gentiment plumer par des gens bourrés de bonnes intentions, et qui vous adorent...
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